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Hommage à Grégoire Favre, artiste et écrivain

Grégoire n’est plus là,

nous avons, dans le cœur, le goût amer de l’absence, peut-être celui métallique du refus et de la colère. Ne nous y soumettons pas, regardons-les, sentons-les sans nous y abandonner. Avec Grégoire nous avons partagé de nombreuses clés pour y parvenir.

Grégoire est présent,

en chacune et chacun de nous demeure ce qu’il nous a transmis.

Révéler et transmettre, ce fut assurément une de ses missions sur cette terre.

Par son travail d’artiste et d’écrivain, il a montré la beauté et la plénitude des femmes et des hommes qu’il situait au cœur de ses recherches et de ses créations : l’ouvrier de l’usine, l’employé de l’hôtel, l’ouvrier du chantier. Pour eux et pour lui, il était en quête d’une « raison d’être » comme il avait dénommé l’association qui accueillait son travail. À chacune de ces rencontres, il renouvelait les noces du « dehors et du dedans » qu’évoque Georges Haldas dans l’Etat de poésie. Grégoire savait également porter son regard fécond sur les personnages issus de l’imagination d’autres artistes ou écrivains : notre première rencontre eut lieu lors de l’exposition-installation qu’Eric Bovisi et lui ont consacrée à Aimé Pache, personnage du roman éponyme de Ramuz : documentaliste de l’imaginaire, Grégoire avait recréé le cadre de vie du peintre dans les locaux du Théâtre des Halles à Sierre.

Avec méticulosité, Grégoire a montré des facettes de la vie de femmes et d’hommes qu’ils ignoraient peut-être eux-mêmes. Il les amenait à se les réapproprier dans le même temps où il nous permettait de les connaître. Je me souviens de la fierté des ouvriers de l’usine de Chippis, conviés à la présentation du livre que Grégoire leur avait consacré. Je garde en mémoire le patron de l’Hôtel Alpina et Savoy évoquant de manière admirative la lingère et d’autres membres de son personnel : son regard me semblait avoir été transformé par celui que Grégoire lui avait littéralement prêté en consacrant un livre à son établissement.

Evoquant, il y a deux jours, la personnalité de Grégoire, une collègue a eu cette phrase : « il mettait toujours l’humain au centre ». Oui, Grégoire mettait toujours l’humain au centre. Peut-être jusqu’à se brûler car il ne se protégeait pas. Il accompagnait les personnes avec qui il travaillait à se révéler à elles-mêmes, à aller un peu plus loin, plus profond dans leur humanité. Transmettre, ce n’est pas toujours d’une génération à une autre, c’est d’abord de soi à soi, oser révéler à soi-même sa propre grandeur.

La force de Grégoire, résidait dans sa fragilité, au risque d’en payer le prix fort dans sa propre vie.

Il nous a transmis une manière de regarder et de voir sans reculer devant notre sensibilité.

Une autre collègue m’a dit : « Un rayon de soleil s’en est allé ». Un rayon de soleil met en lumière, dévoile, révèle. Je sais que, pour Grégoire, cette manière d’être au monde, l’exercice au quotidien de sa raison d’être, n’était pas sans souffrance, sans douleur, sans fermeture. Mais ceci aussi fait partie de ce qu’il nous a transmis : la peur n’empêche pas de découvrir la beauté, d’oser la regarder. En cela, parti, il est avec nous pour guider notre regard.

Il participait au projet de la revue « L’imprévisible » dont le premier numéro lui doit beaucoup. L’imprévisible, oui, ce mot sonne tragiquement aujourd’hui, mais il nous appartient de continuer à regarder le monde avec les yeux qu’il nous a prêtés pour en révéler la beauté.

Jacques Cordonier

Hommage composé à l’occasion de la cérémonie d’adieux à l’artiste le 14 octobre 2016 à l’Eglise de Chippis et repris par Jacques Cordonier le 1er janvier 2024 pour publication sur ce site.

À propos de Jacques Cordonier
Après avoir dirigé le Service de la culture du Canton du Valais, Jacques Cordonier préside depuis 2019 la Fondation SAPA, Archives suisses des arts de la scène. Depuis 2021, il est également vice-président de CULTURA+, association faîtière des organisations représentant les intérêts des institutions culturelles suisses. Il assure régulièrement des charges d’enseignement ainsi que des directions de travaux en gestion et politique culturelles dans divers programmes de formation au niveau tertiaire.

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