Black Albums (2008-2016)

Grégoire Favre avait pour projet de consacrer une exposition à part entière à ses carnets d’artiste nommés Black Albums. Il en avait créé plus d’une centaine et réfléchissait au meilleur dispositif pour les mettre en scène. Ceux-ci n’avaient été exposés qu’une seule fois, au tout début de ce travail de longue haleine, en 2008, dans le cadre de l’exposition Ramuz EnQuête d’une identité.

Les Black Albums sont tous de couleur noire. Sur la couverture, les mots « Black Album », des croix, des ornements gothiques et la période couverte par le volume sont tagués au Tipp-Ex. Entre journal et essai en perpétuel mouvement, les carnets déploient au fil des jours des collages, dessins, textes, coupures de presse, notes, citations, poèmes, réflexions, recherches, ébauches, traces du quotidien. Une œuvre impressionnante, mêlant la grande histoire au parcours personnel de l’artiste.

Certains Black Albums se présentent comme des séries spéciales entièrement dédiées à ses travaux de recherche, notamment la série MO (Mémoire ouvrière).

Pour Grégoire Favre, il s’agissait, à la manière de l’historien de l’art Aby Warburg dans son Atlas Mnémosyne, de construire du sens à partir du déploiement, de l’étalement et de la juxtaposition des images, privilégiant les relations visuelles sur le rapport des images aux discours, l’éclatement, le détournement, la dispersion plastique aux récits linéaires et attendus.

C’est l’œuvre sans doute la plus radicale de l’artiste et la plus engagée. Les dérives politiques, la propagande, la manipulation des images, les idéologies contemporaines, la violence du monde en constituent des thèmes majeurs.

Sur un plan esthétique, ses carnets sont un véritable laboratoire de formes où l’artiste libère sans tabou toute sa créativité et ses souffrances intérieures. Le monde se heurte sans cesse au retour du visage de l’artiste, de photomatons en selfies. Sa figure se fait miroir du temps et du monde, l’histoire individuelle rencontre la grande histoire dans un chassé-croisé constant, comme une manière de remettre au centre l’individu dans un monde déshumanisé ou de montrer la vanité et la violence de l’individualisme occidental face à la barbarie et aux catastrophes qui accablent le monde.

Les Black Albums de Grégoire Favre sont à l’honneur dans l’ouvrage Swiss artists’ books – Schweizer Künstlerbücher – Livres d’artistes suisses – Libri d’artista svizzeri paru aux éditions Walther & Franz König en septembre 2022. En dialogue avec l’éditrice et autrice Susanne Bieri, l’historien Simon Roth, responsable du patrimoine imprimé à la Médiathèque Valais-Sion, se penche sur les carnets de l’artiste qu’il considère comme « une œuvre en soi, mêlant collages, découpages, slogans, articles, etc. »

Couverture du livre Swiss Artists' Books
© Teo Schifferli

« Les Black Albums, dont le titre et le visuel sont un clin d’œil à l’album mythique du groupe de hard rock Metallica, s’inscrivent dans la conception actuelle du livre d’artiste, malgré les difficultés d’une définition claire de cette pratique. Comme un essai, un espace de liberté totale, un medium d’une grande souplesse, apte à surprendre et à se redéfinir sans cesse. »

Simon Roth

Fonds Black Albums

L’ensemble des Black Albums est réuni dans le fonds de l’artiste. Certains d’entre eux ont été exposés en 2019 lors de l’exposition posthume Chroniques de Pratifori (image de couverture de cette page), mais la majeure partie d’entre eux demeure inédite.